une terrible absence

Souvent j’ai regretté de ne pouvoir parler avec mon père, je veux dire parler de lui, de moi…Pour parler, on parle, c’en est même une logorrhée qui vous donnerait la nausée, on passe du coq à l’âne, la politique, les sujets de société, tout ce qui nous tient bien loin des affres de l’âme…La queue de mon dragon ressurgit malgré moi, alors que j’ai su la chasser jusque dans les moindres recoins : elle se rit de moi…Ce soir je repense à Marie pour qui j’avais écrit la fable de la petite fille et de son ballon rouge, et je jurerai qu’il est accroché juste au dessus de moi.

« Pourtant Franck, vous dirait ma mère, c’est plus gai luron de toute la famille…Franck, il est toujours de bonne humeur, prêt à chanter, à mettre l’ambiance, c’est un farceur, qu’est-ce qu’on rit avec lui. Quand il était petit, il pleurait ? oh oui, quelques fois, mais pas souvent, ou je ne m’en souviens pas. »

Alors voilà, je ne sais comment définir ce chagrin, toujours est-il que j’ai secoué l’amphore…je sais qu’à l’heure qu’il est, mon père se mure dans son silence, il s’enferme dans son journal et ne veut plus voir les gens. Je sais que mon arbre généalogique si beau, si droit, si symétrique, penche sur les côtés, ploie sous les conflits mal réglés. Je sais que ma petite enfance fut parfois une souffrance, que ces chagrins, personne n’a pris le temps de les écouter. Quand mon fils tombe aujourd’hui, il m’arrive de me précipiter en disant, ce n’est rien, ce n’est pas grave, ça va passer….On gomme, on efface, on occulte, on tait, on mure, on déguise, on maquille, on cache, on refoule, pendant des années et des années, et malheur à celui qui l’entrouve…Marie dit qu’il faut pouvoir accepter, accueillir, oui mais là-dedans y a des chagrins qui ne sont pas les miens, qui ne m’appartiennent pas…Y en a qui s’en sont débarassés et qui ont lâchement jeté la clef…Alors si c’est à moi de tout nettoyer, je risque de finir noyé…Faut pas pousser…Les petits chagrins font les grandes dépressions….