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Un journal, des réflexions, des lecture, de la poésie et quelques envies

Le monde d'hier - Zweig

Publié le 22 Janvier 2022 par F. B.

Le monde d'hier - Zweig

08/01/22

Je lis ce matin Le monde d’hier de Stefan Zweig et je suis subjugué d’emblée, immédiatement saisi par la fluidité de cet esprit. Le bonheur de lire des phrases aussi bien construites, qui malgré la traduction ne perdent rien de leur perspicacité, de leur souplesse. Ces phrases serpentant entre les pages comme des fleuves paisibles… Stefan Zweig a toujours eu sur moi un effet thérapeutique, tant sa phrase est en adéquation avec ses idées, calme, tranquille, mais précise et toujours "affutée". L’art de la narration, le génie littéraire tout simplement. Le roman s’ouvre sur l’esprit qui règne à Vienne au début du siècle. Le peuple autrichien à en croire Zweig est alors au sommet de sa culture et de son art, un peuple cultivé, apaisé, ouvert sur le monde, rayonnant sur ses voisins. L’Allemagne n’a alors pas atteint ce niveau et cet épanouissement et se créent selon Zweig des tensions, une forme de ressentiment du grand frère envers le petit pays voisin qui ressurgira quelques années après.

 

Dans le monde d’hier, Stefan Zweig raconte comment il vécut au début du XXème siècle, comment il trempa sa plume dans l’encrier d’un siècle naissant et si prometteur. Comment il s’éprit de la ville de Paris, mais comment aussi, il lui fut difficile à ses débuts de faire accepter ses écrits. Publié très tôt en poésie, reconnu en Allemagne, il cherche à se faire connaitre en France et approche Bazalgette. Mais celui-ci refuse plusieurs de ses manuscrits. Il refuse chez Zweig ce qui n’a pas de rapport avec la réalité. Il trouvait sa littérature trop ésotérique par certains côtés. Il n’avait accepté ses textes que dix ans après, quand Zweig atteignit enfin une forme d’expression personnelle.

 

Le 16/01/22

Je lis le monde d’hier de Stefan Zweig et suis comme envoûté par sa plume si harmonieuse. Ecrivain de génie qui a l’art du récit au bout de la plume. Il évoque sa rencontre avec Maxime Gorki à Sorrente dans le sud de l’Italie, qu’il tient lui-même en personne pour le génie du récit. Tout ce qui passe entre les mains de l'écrivain russe devient un conte magnifique, un récit facile à entendre, une histoire dont on veut connaitre le dénouement, un livre dont on ne peut détacher le regard tout simplement. Maxime Gorki a vécu dans cette ambivalence de la vénération de Lénine qui était son ami, des idéaux du socialisme capable de renverser le monde d’avant, mais déjà dans la méfiance d’un immense mensonge partagé par le plus grand nombre concernant la mise en place des prérogatives communistes. Lors de son voyage en URSS, Zweig est sous le charme de cet enthousiasme du peuple russe, de la capacité de chacun à s’oublier pour une noble cause, celle du destin d’un pays, mais déjà il se pose des questions sur une forme de mise en scène ; sur cette capacité qu’ont les gens d’écrire un récit de peur des représailles. Or un soir qu’il se retrouve seul dans sa chambre d’hôtel, Zweig trouve une lettre dans sa poche, une lettre écrite par l’un des nombreux étudiants qu’il a croisé dans la journée, qui lui explique qu’il y a ce que l’on « montre », ce que l’on « donne à voir » mais qu’hélas, il ne peut se rendre compte en tant que visiteur naïf de tout ce qu’on leur « enlève », de tout ce qu’on leur « cache ». Que ses propos sont écoutés, surveillés, que tout ce qui est dit est consigné, rapporté, les oreilles sont partout, tout le temps, et que même cette missive qu’il tient entre ses mains devra être brûlée. Zweig comprend alors que ses intuitions sont confirmées, qu’il ne peut, qu’il ne doit croire uniquement ce qu’il voit, mais que l’envers du décor est incroyablement plus sombre, plus nuancé. Zweig souhaite comme tous ceux qui adhèrent à cet espoir politique voir changer le monde en un monde plus égalitaire, un monde meilleur, mais il sent aussi que ces idéaux deviennent déjà parfois le fruit d’une répression aveugle, ce que l’on nomme l’instauration de la dictature du prolétariat.

            En Italie, Mussolini est arrivé au pouvoir, comme Hitler en Allemagne, véritable gangrène qui ronge l’Europe de tous côtés. Le socialiste Matteotti est assassiné et les six hommes courageux qui ont porté son cercueil lors de ses obsèques à Rome ont été inquiétés voire même emprisonnés. Zweig intercède alors auprès de Mussolini, chose qu’il ne fait que très rarement, il sait que le Duce aime par-dessus tous ses livres à lui, il lui demande donc la clémence pour le pauvre homme emprisonné et il obtient de celui-ci sa libération. Zweig écrit : « ce fut mon plus beau succès littéraire ».

Le monde d’hier est un « ovni » littéraire, à mi-chemin entre le récit historique, politique, social, journal, témoin éminemment littéraire, conjuguant admirablement toutes les disciplines. Zweig est pour moi le fruit même de ce que l’Europe a pu faire de meilleur, le fruit d’une transversalité des âmes sans frontières, ni passeport. Européen de culture, européen en ce qu’il porte en lui les valeurs de paix, d’échanges, de réciprocité au-dessus de celles d’appartenance, de repli sur soi, de peur de l’étranger. Zweig est un apôtre du métissage culturel avant l’heure. Il est cet écrivain intellectuel, fertile et libre qui essaime sa pensée bien au-delà de l’Autriche. Lire ce livre aujourd’hui m’éclaire grandement sur ce que devint l’aveuglement des nations, à ne pas vouloir voir la montée du mal et la catastrophe à venir. La cécité dont nous sommes touchés aujourd’hui peut faire penser par certains aspects à cette incapacité à transformer la culture en essor. Le bruit des bottes n’est jamais très loin et certaines réflexions peuvent hélas semer la confusion à un siècle d’intervalle pourtant. Aujourd’hui face à la crise climatique, chacun se rassure comme il peut, chacun dénie un peu malgré lui le changement climatique, nos modes de vie étant toujours en contradiction avec nos désirs, nos aspirations. Chacun ne vit que dans ses intérêts propres à court terme, nous signons jour après jours un traité de Münich, préférant l’illusion de la préservation de la paix, quand nous préparons en réalité notre propre défaite.

Le monde d'hier - Zweig
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