Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
beninfracas.over-blog.com

Un journal, des réflexions, des lecture, de la poésie et quelques envies

Ruines - Pierre Lepape

Publié le 12 Février 2021 par F. B.

J’ai lu hier le livre que C. m’avait offert à Noël. « Ruines » de Pierre Lepape.

Ce livre m’a profondément touché car il arrive à un moment crucial de crise personnelle. Ce moment d'interrogation de ce que sont les processus littéraires que je mets à l’épreuve dans cette année qui m’est « donnée ». Pourquoi écrire ? Pour qui écrire ? Quel est ce geste, ce mouvement et à partir de quand devient-il littérature ?

Pierre Lepape propose une réflexion sur ce qu’est la littérature à partir de sa propre histoire, mêlant des souvenirs historiques à des éléments autobiographiques. La littérature a été mise à rude épreuve pendant la seconde guerre mondiale. Certains ont résisté, d’autres se sont « fourvoyés »… Il s’intéresse en filigrane à ce « geste » littéraire, qui exprime quelque chose de plus profond, d’ancré, de nécessaire. J’écris personnellement pour me défaire. Mais me défaire de quoi, de qui ? pour dénouer un nœud gordien enkysté, pour mettre à jour des affres, des douleurs, tout ce qui lointainement s’est sédimenté, tous ces traumas figés, paralysés. Ces visages, ces heurts, ces événements enfermés dans la glace de mes souvenirs. Ecrire…Ecrire réchauffe les contours de ce qui n’est plus, de ce qui semble avoir disparu, mais qui venait parfois à la surface de l’océan, ce visage qui refait surface, comme au début de Karl Ove Knausgaard.

Pierre Lepape dresse un bilan extrêmement noir de la littérature contemporaine, cette littérature qui disparait au profit de la publication, le message, le geste s’effacent au profit de l’édition, du buzz littéraire. Certains diront que c’est « réac », passéiste, écrit par quelqu’un qui doit passer la main. Personnellement je partage certains points du constat quand j’arpente parfois les tables de chez mon libraire. Peu de livres sont vraiment « littéraires », ancrés dans une démarche de nécessité. Peu de livres sont inscrits dans une œuvre en cohérence avec les précédents, un livre étant l’ouvrage que l’on remet sur le métier constamment. Le livre est désormais le produit de l’éditeur pour des histoires de « convenance du marché ». On s’adapte aux attentes du lecteur, on écrit pour offrir ce qui va marcher. Il n’est plus de littérature, ni de geste, mais bien plutôt une adaptation, une réponse, à l’attente de…

            La littérature doit être cette quête qui s’assigne l’immense tâche d’accueillir la pénombre en soi, le sombre qui évoque l’image, la forme d’un souvenir figé, écrire doit pouvoir mettre en mouvement des formes, des gens, qui émanent de ces atmosphères intérieures si particulières. Ecrire pour publier, c’est souvent se détourner de cet instinct premier, de cette nécessité, cette vibration de la plume, de ce nécessaire, de cet intime, de ce besoin archaïque enfoui dans les objets du passé.

            Lire Lepape me fait rire aujourd’hui et me permet de comprendre aujourd’hui dans quel mouvement de vanité on cherche parfois à s’inscrire en forçant une démarche.

            Rien n’est plus artificiel que cette approche qui consiste à aller vouloir chercher l’assentiment du lecteur. Qu’en serait-il alors de la littérature ?

            L’approche est toute autre, voire opposée. Elle consiste à se respecter en voulant approcher le plus intime qui tend à l’universel. Elle consiste à décrire ce qui est au creux de soi et qui renvoie à l’humain qui se meut en chacun.

            La mise en récit à laquelle je me suis essayé ne trouve un sens que lorsque j’ai pu toucher ces émotions enfouies, celles que je porte en moi depuis l’enfance. Lucie ne vit que lorsqu’elle tourne autour du pot justement. Lucie n’est pas dans l’événement, dans la péripétie, mais dans cet émoi indicible qu’elle cherche à décrire. Je ne peux donc rédiger une trame, encore moins un récit. Des péripéties, l’acmé et tutti quanti… Je suis dans le portrait, la galerie et moins de personnages que de sentiments, d’éprouvés, qui renvoient à mon passé. On ne parle bien de choses que lorsqu’on les a vécues, éprouvées intérieurement, ressassées émotionnellement. On ne dépeint des paysages que lorsqu’on les a clairement assimilés. Je cherche encore. Je doute encore. Sans doute je chercherai toujours et en cela j’écrirai, pour mieux comprendre, pour mieux dessiner l’architecture d’une pensée. Ecrire permet de repousser les limites qui m’étreignent, écrire permet d’apercevoir les confins d’un horizon que je porte en moi. Tout est si sombre parfois, emmêlé, insondable, seule l’écriture permet de cartographier, de dresser la géographie de nos contextes intimes. C’est à cela que je veux revenir, ce geste si particulier.

 

"Ce qu'on nomme littérature ne peut pas se limiter à une collection de chefs-d’œuvre posés sur les rayonnages d'une sorte de bibliothèque idéale offerte à l'admiration des générations. Il ne faut pas grande expérience de la lecture pour constater que des œuvres qui semblaient admirables à la génération de nos pères nous semblent, vingt ans plus tard, dépourvues de tout charme, voire ridicules ; alors qu'à l'inverse, des auteurs ignorés de leurs contemporains figurent désormais au palmarès des grands écrivains, dont la gloire est censée durer jusqu'à la fin des temps.

 

Qu'est-ce que la littérature? Dès qu'on se pose cette drôle de question, le doute s'installe, comme si l'objet échappait sans cesse à ceux qui cherchent à le définir, dans le seul et simple but de savoir ce qu'ils font.

 

"Les livres existent encore. Pour les gens de ma génération, celle de la guerre, celle d'une longue enfilade de guerres - Indochine, Corée, Vietnam, Algérie - la lecture n'est pas un ornement de l'esprit. Elle ne rend ni pire ni meilleure, ni plus intelligent, ni plus bête. Comme le murmurait Pierre Dumayet, lire ne sert à rien: lire sert à lire. Mais cette passion inutile a été la lumière des heures grises, la gardienne de la lucidité et le remède contre le cynisme. Elle n'a pas empêché le désespoir; elle a évité d'y sombrer. La littérature nous a sauvé la vie. nous y avons reconnu l'amour qui, sans elle, nous aurait peut-être échappé. Nous y avons découvert les langues de la révolte avant qu'elles nous étouffent. Nous y avons cueilli des fleurs, pour nos fêtes, nos enterrements, nos inaugurations. Nous y avons séché nos larmes et pris des leçons de beauté; nous y avons réappris la puissance libératrice du rire."

 

 

Ruines - Pierre Lepape
Commenter cet article