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Un journal, des réflexions, des lecture, de la poésie et quelques envies

Le lieu

Publié le 8 Juin 2020 par F. B.

Dès qu’il fermait les yeux, il pensait à ce lieu. Non pas que celui-ci renfermât quelque trésor ou qu’il fut bucolique en diable, mais c’était son lieu, son refuge, son écrin de verdure. Un endroit à l’abri des voitures. Le seul chemin qui y menât était non carrossable. Dix minutes de marches depuis la départementale. Ronces, fougères, arbres abattus, déracinés, rien ne permettait de prévoir ce qu’on trouverait derrière la butte du vieux père André. Le dernier à posséder des terres cultivables avant d’entrer dans ce monde en friches… Chênes, peupliers, érables, hêtres, les arbres avaient pris naissance, en tout sens, en tout endroit… Même en pleine journée, on pouvait avoir l’impression qu’il faisait nuit au milieu de cette forêt. Le lieu n’était pas charmant, aucun promeneur ne s’y aventurait, il n’apparaissait sur aucune carte précisément, il semblait oublié. L’endroit rêvé pour se recueillir. Jean n’y venait jamais aux mêmes heures, ni aux mêmes moments de la journée. Il venait s’y perdre quand ça lui prenait à tout instant, suite à une contrariété, au matin avant de partir travailler ou pour fumer le soir, ou encore pour y voir les étoiles l’été… C’était son lieu, son point d’origine, quelque chose qu’il n’aurait pu expliquer. Sa mère ne lui avait jamais dit où elle avait vraiment accouché, mais il se plaisait à penser qu’il était apparu nu au milieu des fougères, dans la fraicheur du bocage normand, dans ce lieu sans origine et sans nom… Un lieu dénué d’histoire et de signification, un lieu non retouché par la main de l’homme, à l’abri des regards, seulement traversé par quelques animaux furtifs. Un lieu où la lumière n’était jamais la même au fil de la journée, un lieu de promesse et de douce réalité, un lieu frais où la présence de la mousse laissait deviner une fontaine, une source, une rivière… Un lieu où l’humus était noir d’encre et profond, la terre généreuse et féconde, un lieu vibrant de mille parfums qui plongeait en son cœur en infusion…Parfums multiples qui irradiaient ses sens lorsqu’il fermait les yeux et parvenait à se concentrer un peu : mousse, fougères, humus, terre fraichement retournée marquant ses pas incertains, lumière diffractée à travers les feuillages plongeant en son cœur comme elle l’aurait fait dans une cathédrale, voilà c’est ça, il y ressentait du divin chaque fois qu’il venait, il en était certain, l’autel était cet arbre couché, la rosace ces feuilles éparpillées, la nef prenait naissance dès la lisière du bois pour s’envoler en son centre sur des chênes centenaires… Et aucun passant, aucun marcheur, jamais, pas même un chasseur…. Uniquement ce silence bien gardé, ces soirées en solitaire, ou ces passages indéterminés. Jamais il n’y avait emmené personne, ni ses amours, ni ses amis, pas même son chien. Il y venait en solitude, comme il serait entré en un lieu saint, un peu comme une prière, un endroit des origines, un lieu sacré… Ce secret remontait à l’enfance, il avait fuit les coups, échappé au tumulte de l’existence, à la violence de son propre père, aux cris de réprimandes de sa mère, mais jamais il n’avait trahi, jamais il n’avait dit. Il s’était fait frapper comme plâtre, quand il était rentré trop tard, mais plutôt mourir que de dénoncer l’endroit où s’était réfugié, c’était son secret et il était le seul à le garder, incommunicable, mais au meilleur ami ou à sa femme aujourd’hui. C’est ici qu’il disparaitrait un beau jour sans laisser de trace et ça il le savait…Mais ce serait une autre histoire…

Le lieu
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